« Le modèle économique de nos médias permet difficilement l’investigation » : Sandrine Sawadogo, Journaliste d’investigation à L’Economiste du Faso Burkinabè
15 novembre 2022Elza Sandrine Sawadogo est Journaliste d’investigation et Secrétaire générale de rédaction. Elle travaille depuis 2013 pour L’Economiste du Faso, un hebdomadaire burkinabè qui traite des informations économiques. Depuis bientôt 10ans, elle anime les rubriques, Banques, Finances et bourse tout en coordonnant le travail des chefs de desk. Dans cet entretien, elle partage comment le refus de ses parents à la laisser poursuivre ses études en journalisme, ne l’a guerre dissuadé. Elle évoque ses premiers pas dans le métier, ses plus beaux souvenirs et son quotidien de jeune femme d’investigation. Un récit empreint d’anecdotes.
A quel moment de votre vie, avez-vous su que vous deviendrez journaliste ?
Dès que j’ai eu le Baccalauréat. J’ai toujours voulu faire du journalisme, j’étais intéressée par les articles que je lisais et j’avais envie de découvrir le monde derrière les médias. Malheureusement, il m’a fallu presque 3 ans pour convaincre mes parents de me laisser faire des études en journalisme. 3 ans pendant lesquelles j’ai suivi des cours en anglais à l’Université de Ouagadougou. Je n’ai jamais cessé de poursuivre mon rêve. Après ces 3 années donc, ils ont fini par accepter que je fasse du journalisme. Il faut dire que j’étais têtue déjà à l’époque. J’ai débuté donc les études en journalisme et dès la fin de la 2e année, j’ai entamé un stage dans l’un des quotidiens les plus connus du pays. Cela m’a plus et l’année qui a suivi je me suis lancée dans le monde du travail.
Dites-nous Sandrine, à quand remontent vos premiers pas dans la presse ?
J’ai fait un stage dans le cadre de mes études en journalisme en 2009. C’était au sein de L’Observateur Paalga, un des quotidiens les plus connus du pays. J’y ai fait 3 mois. C’était mes premiers pas dans le métier du journalisme. J’ai été propulsé dans le monde du travail une année plus tard. Mes premiers pas ont été dans le média Fasozine. J’ai acquis l’expérience dans la presse en ligne, et dans la rédaction de grand reportage pour le magazine qui portait le même nom. Mes premières formations étaient axées sur le monde culturel. Jusqu’à ce que je tombe sur le journalisme économique.
Dans quel organe aviez-vous travaillé pour la première fois et quel souvenir en gardez-vous ?
Nous étions en fin d’année 2009. J’étais à l’université pour mes études en communication et journalisme. Le professeur d’écriture et genre journalistique me propose aux vues de mes notes un stage dans son média. Il était alors le Directeur des rédactions de L’Observateur Paalga. J’ai sauté sur l’occasion. Et de ces trois mois de stage, je me souviens de fait important. Un reportage terrain. Je devais faire une sortie terrain avec mon maître de stage dans une localité hors de la capitale. Le sujet à couvrir était une tension autour de terrains. Départ dès l’aube, avec un sac à dos et une bouteille d’eau. C’était les consignes de mon DM. Une heure de route et nous voilà sur le terrain. Rencontres avec les notables, rencontre avec la mairie, rencontres avec les plaignants, visite sur les terrains litigieux. Une course contre la montre non-stop jusqu’à 15h. Puis retour à la rédaction. C’est en ce moment que j’arrive à manger un bout de pain. Je prends mon sac à dos pour rentrer et je suis interpellée par mon DM. Il faut écrire le papier, le valider et l’envoyer à la PAO. Une fois l’article en correction, je croyais pouvoir enfin rentrer à la maison. Mais non. Il faut suivre son impression, s’assurer que tout y est. Ce jour-là, je suis rentrée chez moi après 23h. Le lendemain matin, je n’ai pas pu me lever, tellement mon corps me faisait mal.
Mais qu’elle belle expérience, jusqu’à présent je m’en souviens, je m’en inspire. L’autre fait marquant, pendant mon stage, Ouagadougou a connu les inondations les plus importantes de son histoire. Il a plu toute la nuit et le matin il fallait se rendre au stage. Je suis sortie à moto et je ne voyais pas la route, tellement il y’avait de l’eau sur le goudron. C’est mon père que j’ai réussi à convaincre de m’amener au boulot en voiture. Sa question c’est : crois-tu qu’avec cette pluie, vous allez pouvoir travailler ? J’ai dit je n’en sais rien mais je vais essayer d’arriver au boulot. Il n’a pas insisté, j’ai pu arriver au boulot et ce jour-là j’ai compris les implications du métier de journaliste. L’ouvrier de la plume s’engage a donné l’information au public et pour cela il doit être prêt à affronter beaucoup d’obstacles sur son chemin.
Quel a été le déclic pour le journalisme d’investigation ?
Cela s’est fait étape par étape. Un jour je reçois un coup de fil d’un ainé dans le journalisme. Il me dit Sandrine j’ai reçu un appel à candidatures, j’ai pensé à toi. J’étais étonnée quand j’ai entendu l’objet. Il s’agit d’un programme de Thomson and Reuters, pour une formation en économie à Dakar. Moi qui m’intéressais à la culture je n’étais pas prête à me lancer dans le secteur de l’économie. J’avoue j’étais nulle en maths à l’école. Il a insisté et j’ai postulé. En me disant que je ne serai pas retenue vue que je ne m’y connais absolument pas en Economie. Et là surprise, j’ai été retenue pour une formation à Dakar. C’était la découverte, j’ignorais avec cette formation à quel point les chiffres, les statistiques et l’économie gouvernait le monde. Me voilà lancé dans un projet régional dénommé « Richesse des Nations ». L’idée derrière était de parler des mines de mon pays, leur gestion, ressources humaines, la répartition des biens. Une idée d’article qui a débouché finalement sur une enquête, ma première enquête. Et depuis je n’ai plus arrêté.
Dans quel organe exercez-vous aujourd’hui et quelles sont les rubriques qui vous occupent ?
Depuis 2013 je travaille au sein de L’Economiste du Faso, en qualité de Secrétaire général de rédaction. Un poste qui me permet une certaine liberté et j’en profite pour faire de l’investigation, bien sûr avec le soutien de la rédaction. Mais ma formation de base est l’économie. Actuellement j’anime les rubriques, Banques, Finances et bourse. Mais en tant que SR, je dois me mettre à niveau des chefs de desk, alors je touche un peu à tout, de la macro-économie, du commerce, le volet entreprise, la coopération, etc.
En novembre 2021, vous avez reçu le 3ème prix africain du journalisme d’investigation-Norbert Zongo. Parler nous brièvement de l’article qui vous a valu cette distinction.
Ah ce prix j’avoue je m’y attendais pas du tout. C’était une surprise énorme, vu que j’ai postulé parce que mes confrères m’y ont poussé. Bref pour revenir à l’article, voici ce dont il s’agit. J’ai été contacté par ICIJ dont je suis membre pour travailler sur le projet Pandora. J’ai eu accès à des données sur une transaction bancaire épinglée par le gendarme financier américain, l’équivalent ici de la CENTIF. Des documents en ma possession j’avais le nom de la société basée au Burkina, la société qui a obtenu l’argent et le montant du transfert. A la fin de ma recherche et de mon travail sur le terrain, j’ai réussi a révélé qu’il s’agit d’une société privée burkinabè qui a été créée le temps de la transaction bancaire. Elle a été dissoute juste après. J’ai découvert que la transaction avait pour objet un paiement pour des armes. Ces armes ont été payées en Serbie, j’ai révélé le nom de la société Serbe qui a livré les armes et les noms de ceux qui étaient impliqués au niveau local. Il faut noter que la législation au niveau du Burkina, stipule que les sociétés privées ne peuvent pas importer des armes. En gros voilà ce que j’ai révélé.
L’investigation ne se fait pas sans une petite dose de risques. Quelles sont les précautions que vous prenez sur le terrain ?
Effectivement l’investigation comporte du risque. Selon le sujet sur lequel on travaille, on risque soit les menaces physiques ou verbales, les plaintes, les procès, la prison ou la mort. Ce métier est contraignant et comporte certains risques. Pour les précautions, il y’a ce que l’on nous apprend en formation, les mesures à prendre et il y’a aussi ce que l’on apprend sur le terrain, les astuces que l’on acquiert. Sur ces mesures je me permets de rester évasive, la prudence est la mère des précautions pour nous dans ce métier.
Ou trouvez-vous les ressources pour vous lancer sur le terrain quand vous flairez un sujet qui mérite d’être creusé ?
Ah l’argent est le nerf de la guerre. Disons déjà que ce n’est pas toutes les investigations qui nécessitent beaucoup d’argent. Il y’a souvent des possibilités grâce à des organisations d’avoir accès à des bourses pour faire une investigation. Cela permet et facilite le travail sur le terrain. Donc souvent pour certaines grosses enquêtes, je peux faire un projet d’enquête et demander le soutien de la CENOZO. En dehors de cela, il s’agit d’enquêtes nationales et ma rédaction me soutient, du moment que mon plan d’enquête est bien ficelé et approuvé.
Quel regard jetez-vous sur la pratique du journalisme d’investigation par les femmes ?
Ah là c’est là où j’ai mal. Je suis triste de savoir que dans nos pays francophones, elles ne sont pas si nombreuses que cela. Pourtant des efforts sont en cours, même si j’avoue que ce n’est pas encore assez. Pourtant, vue la spécificité du métier et les femmes peuvent faire mieux que les hommes sur le plan de l’investigation. Dotés d’un 6e sens infaillible et d’une capacité de résilience, elles peuvent poursuivre et traité un sujet d’enquête sans se laisser divertir et atteindre leurs buts. Hélas le métier est dur et à force de leur faire peur, les hommes ont tourné l’investigation comme étant propre au sexe masculin. On parle dans nos pays de métier d’hommes, de métier à risques. Pourtant, je rencontre des femmes dans ce métier de journalisme d’investigation. Elles sont braves, elles font bouger les choses dans leurs pays. En tant que membre de ICIJ, ma principale lutte c’est d’impliquer plus de femmes journalistes d’investigation dans nos projets de collaboration. On y travaille mais je comprends que mes sœurs hésitent à se lancer dans cette aventure. Autant elle est passionnante, autant elle est prenante. J’ai l’habitude de dire que le journaliste d’investigation n’a pas d’amis, il n’a que des intérêts. C’est donc une vie de solitude, de silences, de secrets, de missions, d’absences dans laquelle on s’engage et je comprends que beaucoup hésitent à emprunter ce chemin.
L’investigation demande des ressources en termes de moyens financiers et de temps…pensez-vous que nos rédactions peuvent y faire face ?
Le modèle économique de nos médias permet difficilement l’investigation. Disons-le. Un journal dont les revenus sont basés sur la publicité a du mal à faire de l’investigation son quotidien. Parce que la plupart des activités de corruption que nous dénonçons dans nos articles, sont menés par des sociétés qui souvent prennent des espaces publicitaires dans nos journaux. Difficile donc de tenir longtemps dans ses conditions. Il faut d’autres initiatives et pourquoi ne pas se baser sur le modèle de mécénat.
Une anecdote en guise de conseil à d’autres femmes qui aimeraient vous emboiter le pas ?
Je choque toujours les gens quand je leur dis au détour d’une longue discussion que je fais de l’investigation. C’est drôle de voir la tête qu’ils font. A peine ils y croient. Je ne suis pas connue et c’est ce que dois être le journaliste d’investigation. Ce sont les enquêtes qui sont les stars dans notre métier. Mais l’investigation n’est pas synonyme de solitude loin de là. J’ai trouvé une famille, une maison, un socle sur lequel m’appuyer. L’anecdote que je donne souvent pour illustrer cela c’est celle-là. Au moment où j’ai entendu mon nom lors du PAJI-NZ j’étais en joie, je suis allée sur la tribune recevoir mon cadeau et tous mes amis dans la salle, tous ont passé leur temps à m’applaudir. Ils étaient je crois aussi heureux que moi et presque personne n’a eu le réflexe de prendre de bonnes photos de l’évènement pour moi. Pour certains, c’est dommage, mais pour moi c’est une preuve que j’ai une famille derrière moi. Ils ont célébré mon prix avec moi au même moment que moi sans penser à autre chose qu’a laissé éclater leurs joies. Qu’elle preuve d’amour ! C’est une anecdote pour dire à mes sœurs que malgré les railleries, les moqueries, les défis et les énormes difficultés rencontrés au cours du chemin, l’investigation te mènera à une famille solide, où jamais tu ne seras seul, tant dans les moments difficiles que dans les grandes récompenses.
Quel est votre plus beau souvenir dans l’exercice de votre métier ?
J’ai vu ma fille pleurer à chaque fois que je sortais en mission ou que je ne pouvais pas la récupérer à la sortie de l’école parce que j’étais sur un dossier. J’en souffrais énormément. Je ne pouvais pas lui expliquer le pourquoi de mes absences. En la voyant tenir le trophée de ses petites mains, je pouvais alors avoir quelque chose de tangible qu’elle pouvait comprendre, toucher et voir. Elle percevait un peu maintenant les raisons pour lesquelles j’étais aussi absente.
Sandrine, journaliste, épouse et mère ? Comment arrivez-vous à concilier tous ces challenges ?
Difficilement. C’est dur de cacher son mari et ses enfants. Beaucoup dans ma belle-famille se plaigne de mon nom de plume, j’y mets rarement le nom de mon mari. J’essaye de ne pas le mêler à mes angoisses au boulot. Pour le convaincre cela m’a pris du temps. Il n’était pas d’accord, mais a fini par céder quand il a compris les risques que cela représente pour nous. Mais j’essaye d’être là pour eux et de faire de ma famille ma priorité. Je m’assure de ne pas me faire engloutir sous les dossiers, de me rappeler que j’ai aussi besoin de leurs bras pour me soutenir, me faire sentir vivante. C’est difficile surtout dans nos contrées, où on attend la femme à la cuisine, dans les activités sociales, de voir une femme qui est souvent plus prise par le travail que son mari. Heureusement, il a l’esprit ouvert et c’est l’essentiel. J’ai son appui et j’en suis honorée.
Des perspectives ? Sandrine et l’avenir, que dire ?
Depuis quelques temps je reçois des propositions pour des jobs un peu moins ‘risqué’. J’y réfléchis. Mais je prends du temps pour me retrouver. Le métier implique beaucoup de sacrifices et souvent cela pèse sur les épaules. Actuellement je travaille sur moi, me remettre en selle après une année un peu vide. Pour le moment je dois le dire, le virus de l’investigation qui m’a piqué est toujours présent dans mon corps. Je crois que je vais m’accrocher encore un peu.