Accès aux crédits agricoles : les maraichères de Grand-Popo, souffre-douleur des structures de microfinance

Accès aux crédits agricoles : les maraichères de Grand-Popo, souffre-douleur des structures de microfinance

18 novembre 2022 0 Par admin

A Grand-Popo, commune côtière située dans le Mono, au sud-ouest du Bénin, le maraichage est l’une des principales activités génératrices de revenus. Plusieurs femmes s’y investissent pour subvenir à leurs besoins et être autonomes. Malheureusement, dans les structures de microfinance, elles sont confrontées à l’inaccessibilité aux crédits agricoles. Enquête à Grand-Popo sur les difficultés d’accès des femmes maraichères aux crédits agricoles.  

L’accès aux crédits reste l’un des défis majeurs du secteur agricole béninois. Les femmes agricultrices sont principalement celles placées au premier rang des victimes de cette situation. A Grand-Popo, dans le département du Mono au sud-ouest du pays, le constat est alarmant. L’accès aux crédits agricoles est un calvaire pour les femmes maraichères. Marcelline Gnamadi, la soixantaine, membre de la coopérative ‘’La Grâce de Dieu’’, est productrice d’oignon, tomate, carotte et piment à Ayi-Guinnou dans l’arrondissement d’Agoué.  Aux environs de 10h ce jeudi 09 Septembre 2022, elle est déjà dans son champ pour vérifier l’état des plants. Interrogée sur l’accès aux crédits agricoles, elle ne se fait pas prier pour parler. « C’est avec peine que nous accédions aux prêts dans la commune de Grand –Popo.  Parfois, nous sommes même découragées », se lamentet-elle.

Les propos de cette femme ne sont qu’un témoignage parmi tant d’autres et montrent l’ampleur de la problématique d’accès des femmes agricultrices aux services financiers dans cette commune. De nombreuses femmes maraichères vivent cette situation et ce, depuis plusieurs années selon leurs témoignages. Sidonie Pipoka, la soixantaine, également maraichère depuis 15 ans est membre de la coopérative ‘’Umalga’’. L’agricultrice dit avoir été confrontée à d’énormes difficultés audébut de son activité pour l’accès aux crédits. « Je ne pouvais pas payer les intrants agricoles. Je me débrouillais avec les bénéfices sur la vente des produits», confie-t-elle. Mais aujourd’hui, celle-ci s’en sort grâce à son adhésion à la coopérative ‘’Umalga’’, où elle a pu accéder à un crédit. 

Certaines femmes accèdent aux crédits agricoles grâce à des projets /programmes. Cependant, plusieurs d’entre elles, soutiennent que les préalables pour l’accès à ces crédits constituent un parcours de combattant. « Les structures de microfinance nous rendent la vie dure avec des taux élevés de garanties qu’elles exposent », déplore Olga Panou, la quarantaine, trésorière de la coopérative « Belele ». Gentille Adjovi, est également maraîchère et propriétaire d’une superficie de 2 hectares situés le long de la voie entre le village Ayi-Guinnou et celui de Missihoun-condji. Tout comme Olga, elle estime que les démarches pour accéder aux crédits est semblable à un chemin de croix à Grand-Popo. « Nous ne disposons pas d’institutions de microfinance appropriées pour financer l’agriculture. Celles qui existent sur le terrain ne nous allègent pas la tâche », lâche la maraichère. Gentille voit quant à elle, deux problèmes dans la procédure d’octroi de crédit. « Quand tu fais une demande de prêt, soit tu remplis toutes les conditions exigées, soit le montant demandé est diminué », relève-t-elle. Pour ces femmes, remplir les conditions n’est pas un problème. Mais ne pas tenir compte de leur statut de femme en est un.

Outre la pesanteur des démarches à effectuer pour obtenir un crédit, d’autres facteurs constituent pour ces maraîchères des casse-têtes. « Je suis embêtée quand les structures financières exigent la présence de mon mari pour l’obtention du crédit parce que quand le mari sait que tu as une telle somme d’argent, il n’assure plus correctement ses charges de chef de famille », raconte Marcelline Gnimadi. A force d’utiliser le prêt dans les charges du foyer, se plaint-elle, l’on n’arrive plus à faire ce à quoi il est initialement destiné. Olga Panou et Gentille Adjovi abondent dans le même sens en appuyant que « les yeux des hommes restent fixés sur la poche de la femme quand ils savent que qu’elle a de l’argent». Conséquence, font-elles savoir, les femmes n’arrivent plus à plus à atteindre leurs objectifs de départ. « C’est pour cette raison que nous n’aimons pas trop impliquer nos maris dans les histoires d’argent », se justifient-elles. Indexés, les n’ont pas voulu se prononcer sur la question. Néanmoins, lors d’échanges hors micro avec l’un des maris rencontrés, il a confié qu’empiéter sur les finances de la femme relève de la nature humaine. A l’en croire, les maris ne le font pas à dessein. Mais il reconnaît que les hommes ont tendance à « jouer sur la sensibilité de la femme » parce qu’ils savent qu’en cas de difficulté dans le foyer elle n’hésite pas à agir si elle a les moyens, « surtout lorsque ses enfants sont en jeu ».

Selon ces femmes, les prêts individuels sont rares dans les structures de microfinance. La plupart maraîchères bénéficiaires de crédits sont dans des coopératives. Cette réticence des SFD (Structures Financières Décentralisées) pour l’octroi des crédits, se justifie aussi selon Prospère Zohoungbogbo, responsable à la production et la commercialisation au sein de l’UCCM (Union communale des coopératives maraichères) de Grand-Popo, par l’absence de garantie, l’ingérence des maris dans la gestion financière et le manque d’assurance sur la capacité de remboursement des femmes. 

 Les SFD entre le marteau et l’enclume

Plusieurs raisons expliquent la réticence des SDF à octroyer les crédits aux femmes en général et les maraichères en particulier. Parmi elles, figure la faible superficie de terre emblavée par ces femmes. Cette situation constitue pour elles, un grand handicap, notamment lors de l’évaluation des risques de crédit. Dans les structures de microfinance, en cas de défaut de garantie pour les prêts, le montant demandé est revu à la baisse. « Contrairement aux hommes, elles ne disposent pas des titres de propriété foncière, un document servant de garantie en cas d’insolvabilité », justifie Gildas Adjovi, chef d’agence de la MSFP (Mutuelle de service financier pour la prospérité de Grand-Popo).  La réticence des SFD, souligne Eustache Vigninou, agent de crédit à l’UNACREP (Union nationale des caisses rurales d’épargne et de crédit) de Comè, peut également s’expliquer par d’autres facteurs qui ne dépendent pas des structures financières.  « Ceci est dû à des paramètres non maitrisables conduisant parfois à des impayés.  Il s’agit notamment des risques liés à la surproduction sur le marché, la fermeture des frontières, la mévente, le changement climatique… », énumère-t-il.

Ces paramètres, fait tout de même savoir ce praticien, ne dépendent pas « forcément » des producteurs.  Mais ils concourent à la réticence des SFD pour les prêts. Un autre paramètre non négligeable, apprend-il, est la non implication du mari de la femme qui demande le prêt lors du montage des dossiers.  « Lorsque la dame vient faire seule une demande de prêt et que tu insistes sur la nécessité de la présence de son mari, cela devient une contrainte pour elle. C’est vrai que ce n’est pas le cas au niveau de toutes les femmes mais celles qui sollicitent leurs époux sont minoritaires », explique Gildas Adjovi. Il souligne que dans le processus d’octroi de prêt, au moins deux cautions (témoins) sont exigées par les SFD dont le mari de la femme emprunteuse. « Nous demandons que les femmes soient accompagnées de leurs maris pour qu’ils soient au courant du prêt et s’engagent pleinement. En cas de divorce ou de disparition de la femme, le mari pourra faire face au remboursement selon l’engagement qu’il aura pris », a-t-il expliqué. Ces garde-fous, poursuit-il, permettent aux SFD d’avoir une certaine assurance dans l’octroi du prêt. « Nous estimons que contrairement aux femmes, les hommes possèdent des biens matériels en l’occurrence des terres », relève Gildas Adjovi. Mais cette exigence « n’est pas uniquement au niveau des femmes » assure-t-il.

Pour Colette Kiki, spécialiste de l’accès au financement au sein du Programme ACMA (Approche communale pour le marché agricole) phase 2, « prêter aux pauvres s’avère trop couteux pour les banques à cause de la faible nature de leurs transactions et de leur incapacité à offrir des garanties ». Mieux, soutient-elle dans une interview accordée à Zoom agro et publier le 24 août 2022, « l’environnement instable dans lequel ceux-ci se retrouvent ne leur confère guère une meilleure rentabilité ».

L’autonomie des femmes compromise

Les difficultés d’accès aux crédits des femmes maraichères de Grand-Popo impactent leurs activités, autant sur la productivité que la rentabilité. Car, plus elles produisent, plus les récoltent sont conséquentes et permettent de couvrir les dépenses, voire faire des bénéfices. Mais sans crédit, cela semble utopique. « Le retard de décaissement joue négativement sur le cycle normal de production.  La période de récolte n’est plus respectée. Cela conduit à une saturation des produits sur le marché avec pour corollaire la rareté de clientèle », fait remarquer toute peinée la maraichère Marcelline Gnimadi.

Conséquence, confie-t-elle, les femmes sont obligées de brader leurs produits. « A défaut de liquider à vil prix la récolte, nous enregistrons des pertes », fait-elle savoir. Prosper Zohoungbogbo, le responsable à la production et la commercialisation au sein de l’UCCM de Grand-Popo confirme les propos de cette maraichère. Sans financement, renchérit-il, l’activité chute. Pour lui, cette situation affecte énormément l’harmonie du couple et « compromet ainsi l’autonomie de la femme ».  

Selon Flora Atatcho, face aux difficultés d’octroi des crédits, certaines femmes abandonnent le maraichage pour d’autres activités qui ne leur permet pas de subvenir convenablement à leurs besoins. Par ailleurs, relève la responsable de la cellule communale, « les femmes s’adonnent plus aux activités domestiques au détriment de celles génératrices de revenus ».

Pour l’accès des femmes aux crédits agricoles

Face aux difficultés d’accès aux crédits agricoles, les femmes maraichères de Grand-Popo proposent deux thérapies.  Il s’agit de la création d’une banque communale agricole et l’allègement des conditions d’octroi des prêts. « Que l’Etat crée pour nous une banque agricole spécial destinée uniquement au financement des activités agricoles et non celles commerciales tout en réduisant les conditions d’accès aux crédits » proposent Marcelline Gnamadi, Sidonie Pipoka et Bily Agonglou.

Gildas Adjovi, chef d’agence de la MSFP ajoute qu’à leur niveau, des actions se mènent pour faciliter le crédit aux femmes notamment à travers les tontines. L’intégration des femmes dans des coopératives agricoles est également un atout. Pour un accès libre aux crédits agricoles, il s’avère important que des dispositions idoines soient prises et misent en œuvre en faveur des femmes.

Laure LEKOSSA